A l’heure où les autistes de haut niveau sont mis en scène dans des shows télévisés, où « être autiste Asperger » est fortement médiatisé, j’ai eu envie de me pencher un peu plus sur ce trouble…

J’ai donc demandé à une amie psychologue travaillant dans ce domaine (et ancienne camarade de promo), de nous expliquer tout ça !

 

Suzy CABUT
suzy.cabut@gmail.com

 

Suzy Cabut est psychologue clinicienne, diplômée de l’Université de Franche-Comté en 2014, spécialisée en clinique psychopathologique et clinique de la famille. Parallèlement à ses études de psychologie, elle a commencé à s’intéresser de près au milieu du handicap. Elle est rentrée en 2012 dans l’association ALEDD, à Besançon, qui est un centre de loisir pour enfants et jeunes adultes en situation de handicap (handicap moteur, mental, autisme…). Elle a également pu travailler avec des adultes handicapés grâce à une autre association, l’UFCV. Toujours très investie dans le milieu associatif lié au handicap, c’est là que Suzy s’épanouie le plus. Elle a donc travaillé avec beaucoup de personnes autistes, enfants ou adultes, au cours de ces 5 dernières années. Et cette année, elle a déménagé à Dijon pour travailler en tant que psychologue avec l’association AEVE.

 

Qu’est-ce que l’autisme ? 

L’autisme est un dysfonctionnement social et relationnel. Le vrai problème pour les personnes autistes est de se connecter et de se lier avec l’autre. Leur cerveau fonctionne différemment des personnes neurotypiques. On voit bien à l’IRM que le cerveau des autistes est différent. Cela les empêche de déchiffrer et de comprendre leur environnement, ainsi que de réguler leurs émotions.
Par exemple, les autistes ont beaucoup de mal à décoder les expressions du visage et de la voix, donc ils ne comprennent pas toujours si la personne en face est en colère ou contente. Et eux-mêmes ne sauront pas exprimer leurs émotions correctement.

Les autistes ont également un problème de perception sensorielle et de filtrage des informations.
Par exemple, ils n’arriveront pas à se concentrer sur ce que dit la personne en face car le bruit des voitures dans la rue sera beaucoup trop fort pour eux, et ils n’arriveront pas à le filtrer.

Quand ils sont submergés par les émotions, les sensations ou les stimulations, ils ont alors recours à ce qu’on appelle des stéréotypies. On a tous en tête l’image de l’enfant qui se balance dans son coin et des gens qui disent « ah ben tiens il est autiste lui ». C’est un cliché, car tous les enfants qui se balancent ne sont pas autistes, et tous les autistes ne se balancent pas. Mais ça peut être un exemple pour illustrer ce qu’est une stéréotypie. C’est un comportement répétitif qui sert à les calmer. Cela peut être jouer avec un objet particulier, répéter un mot ou une phrase, faire un parcours particulier, faire un mouvement particulier… Ils se plongent dans leur monde pour s’apaiser. Les autistes sont très incompris, et nous leur donnons souvent plus envie de rester dans leur monde que de venir dans le nôtre.

 

Combien d’enfants sont diagnostiqués autistes ? Et quels sont les signes chez les tous petits ?

On compte maintenant 1 enfant sur 150 atteint d’autisme. Ce chiffre a doublé ces 10 dernières années. On ne pose pas de diagnostic d’autisme avant 2 ans. Ce diagnostic se fait par des équipes médicales spécialisées dans l’autisme. Mais bien souvent, les parents ont déjà des soupçons. Quelques signes chez les tous petits peuvent être indicateurs d’autisme (mais ne se confirmeront qu’avec un vrai diagnostic posé). Ces signes peuvent être l’absence de sourire, un regard fuyant, une hypotonie, mais aussi un enfant qui ne prononce aucun son, qui ne répond pas à son nom, qui ne pointe pas ce qu’il veut, qui crie beaucoup… Très vite, les parents sentent que quelque chose est différent.

Pour les parents qui ont remarqué ces signes chez leurs enfants, la question des personnes à qui s’adresser se pose. Et en France, nous manquons d’informations à ce sujet, et tout simplement de lieux réellement spécialisés. Parfois, vous pouvez vous adresser à votre médecin traitant ou pédiatre, qui peut vous confirmer ou non vos doutes, et vous orienter vers des collègues à eux qualifiés pour le diagnostic (en cabinet ou en centre hospitalier). Vous pouvez également prendre rendez-vous au CAMPS (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce) ou au CRA (Centre Ressource Autisme), qui soit ont des équipes pouvant poser le diagnostic, soit vous orienteront vers des spécialistes.

N’hésitez pas à demander plusieurs avis, surtout si vous n’êtes pas pleinement convaincu par ce qu’on vous dit !

 

Quelle différence entre autisme, TSA (Troubles du Spectre Autistique) et TED (Troubles Envahissants du Développement) ?

L’autisme et les TSA sont en fait la même chose. D’ailleurs le terme officiel pour l’autisme est en fait Troubles du Spectre Autistique, car il n’existe pas une seule forme d’autisme, et chaque autiste est différent, avec des comportements et des symptômes différents. Les troubles autistiques peuvent aussi être associés à une maladie mentale, un handicap mental et/ou moteur, une maladie neurologique… Et les TSA font eux partie des Troubles Envahissants du Développement, qui regroupent aussi d’autres troubles que l’autisme.

 

Peux-tu nous présenter l’association et sa méthode ?

L’association avec laquelle je travaille s’appelle AEVE (Autisme Espoir Vers l’Ecole). Son bureau se situe à Boulogne, et des psychologues de toute la France travaillent avec eux. Moi je suis dans le secteur de Dijon et alentours par exemple. Je suis en libéral et je me déplace à domicile pour appliquer la méthode des 3i avec les enfants autistes et leur famille.

Cette méthode s’inspire de la méthode américaine SonRise. Elle diffère beaucoup des méthodes actuellement à la mode en France, comme ABA ou TEACCH, car c’est une méthode développementale et non comportementale. Elle va au rythme de l’enfant, et ne le contraint pas. L’idée est d’entrer dans son monde pour créer un lien avec lui, et lui donner envie à son tour de venir dans le nôtre.

En plus de la psychologue, qui vient jouer avec l’enfant une fois par semaine, il y a une équipe de bénévoles qui vient faire des séances de jeux avec lui. On applique alors les 3i de la méthode : interactive, intensive et individuelle.

 

Individuelle : l’enfant est seul avec un bénévole pendant 1h30.
Intensive : l’enfant a des séances de jeu toute la journée, et tous les jours.
Interactive : les bénévoles essaient de créer une réelle interaction avec l’enfant.

 

Mon rôle, en tant que psychologue, en plus de jouer avec l’enfant et de travailler avec la famille, est aussi de conseiller et soutenir l’équipe de bénévoles. Je suis à leur disposition pour toute question ou difficulté par rapport à la méthode, je leur fais régulièrement des retours par mails, et toutes les 6 semaines nous faisons une réunion tous ensemble. Et pour mieux pouvoir travailler, toutes les séances sont filmées, ce qui me permet d’observer l’enfant et les bénévoles. Je peux ainsi commenter les vidéos, et mieux conseiller les parents et les bénévoles. Et au fur et à mesure de cette méthode, nous reprenons le développement de l’enfant où il s’est arrêté, et nous l’aidons à évoluer. Nous avons donc des enfants qui deviendront propres, qui commenceront à parler alors que jusqu’ici ils étaient complètement mutiques, qui s’intéresseront aux autres…

Le but final de cette méthode est la rescolarisation de l’enfant. Car pendant la méthode, il est retiré de l’école (classique ou adaptée), qui met les enfants autistes en grande difficulté. En effet, un enfant incapable de se connecter aux autres et de se concentrer ne peut bien évidemment pas apprendre à lire et à compter. Une fois sorti de sa bulle, l’enfant peut commencer l’école à la maison, et rattraper le retard dans ses apprentissages, pour finir par retourner à l’école un jour. Le retard se rattrape très vite une fois l’enfant capable et désireux d’apprendre. Les autistes ont une intelligence tout à fait normale, qu’ils sont juste incapables d’exploiter (je parle bien sûr de l’autisme non associé à un autre trouble ou une autre maladie). Pour plus de détails, je vous invite à consulter le site AEVE.

 

Quel est le principe des séances de jeux ?

Plus haut, je vous ai décrit la méthode globale, son but, ses moyens… Mais parlons un peu des fameuses séances de jeux que l’enfant a tous les jours, plusieurs fois par jour. Comment le jeu peut-il faire sortir un enfant autiste de sa bulle ? Par un principe très simple : l’imitation.

Les bénévoles (psychologue inclus) entrent dans le monde de l’enfant en l’imitant, même quand il stéréotype. Cela crée un contact entre eux, et donne envie à l’enfant de venir voir ce qui se passe dans notre monde. A force d’imitation de la part des bénévoles, l’enfant les regarde de plus en plus. Et c’est dans ces moments de présence, où le regard est là, qu’on « enrichit », c’est-à-dire qu’on initie quelque chose afin que ce soit au tour de l’enfant de nous imiter. Et le jour où l’enfant nous imite, c’est un vrai lien qui se crée. Et c’est le début des interactions avec l’enfant.

La méthode dure plusieurs années, donc vous pouvez imaginer la force du lien qui se crée entre l’enfant et ses bénévoles, et entre la famille et les bénévoles. Et tout ça pour l’enfant, à son rythme, sans jamais le contraindre, simplement en lui donnant envie d’être avec nous.

 

Peut-on sortir de l’autisme ?

L’autisme n’est pas une maladie ni un handicap. C’est un trouble qui handicape les personnes qui en sont atteintes car cela les empêche d’avoir une vie « normale ». Mais c’est un trouble neurologique. Et comme le cerveau est d’une fascinante plasticité, le cerveau des autistes (qui je rappelle est différent à l’IRM) peut apprendre à fonctionner d’une autre manière.

Des enfants autistes qui ne parlaient pas et ne supportaient pas de sortir de chez eux, peuvent un jour savoir lire et écrire, et adorer aller à la fête foraine. Et c’est possible en leur donnant envie de plus se connecter aux autres, et en respectant toujours leur rythme et leurs besoins.

Alors est-ce qu’on sort complètement de l’autisme ? Je ne sais pas. Mais en tout cas on peut espérer avoir une vie beaucoup moins difficile un jour.

 

Aurais-tu des supports littéraires à nous conseiller ?

L’idée n’est pas de lire tous les ouvrages qui existent sur l’autisme et d’apprendre par cœur ce qu’ils nous disent. Voici des livres qui sont les témoignages de personnes autistes, car pour moi c’est le meilleur moyen de comprendre ce qu’est vraiment l’autisme.

  • Moi, l’enfant autiste de SEAN BARON
  • Ma vie d’autiste de TEMPLE GRANDIN
  • Une personne à part entière de GUNILLA GERLAND
  • Sais-tu pourquoi je saute ? de NAOKI HIGASHIDA
  • Dépasser l’autisme de RAUN KAUFMAN

 

Merci Suzy pour cette collaboration !


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