Depuis quelques temps, je reçois de plus en plus de personnes me demandant de leur dire s’ils sont bipolaires, autistes Asperger ou si un membre de leur entourage souffre d’un trouble similaire. La grande tendance du moment, c’est les pervers narcissiques. Cependant, la majorité de ces personnes en recherche de diagnostic est déçue par mes réponses. Alors entre déception et soulagement, qu’est ce qu’il se cache derrière cette recherche de pathologies à tout prix ?

L’autre jour, ma femme était très énervée contre un collègue du travail, elle a fait une crise d’hystérie à la maison. Une vraie bipolaire ! Et le pire c’est qu’elle rejetait la faute sur moi, comme les perverses narcissiques. Elle est trop borderline en ce moment.

Vous avez remarqué vous aussi que dans le langage courant: celui qui change couramment d’avis ou d’émotion est taxé de « bipolaire », que celui qui ment est un « pervers narcissique », que celui qui est timide et introvertie est « autiste », qu’une personne violente est « schizophrène », qu’une personne susceptible est « paranoïaque », qu’un enfant un peu trop excité est « hyperactif » ? Et pourtant ce constat ne date pas d’hier.

Depuis de nombreuses années, nous empruntons au lexique médical des termes que nous utilisons au tort et à travers, les détournant de leur sens premier. Ainsi, « crétin », « hystérique » ou encore « débile » qui étaient autrefois des diagnostics psychiatriques répondant à des symptômes précis, ont été intégrés dans notre langage courant.

Pourquoi s’être approprié ces termes spécifiques ?

Une quête de soi

Nous sommes aujourd’hui de plus en plus dans une quête de soi, une quête du bonheur. Nous lisons des lectures dites « positives », inculquant à nos enfants une éducation « bienveillante », notre but dans la vie est d’être heureux. Et pour y arriver, nous bouquinons des livres de développement personnel ou prenons un coach de vie ! Le monde de la psychologie vulgarisée n’a donc jamais été aussi accessible pour apprendre à se connaître et donc parallèlement, à connaître ceux qui nous entourent ! Ce qui engendre peut-être un effet de « pathologisation »: nous cherchons à mettre des mots sur TOUS nos maux.

Il est par exemple très mal vu d’être triste ou en colère trop longtemps sous peine d’être taxé de dépressif, même si nous sommes en plein deuil ! Nos émotions dites « négatives » n’ont plus grande place dans nos vies, nous devons nous en débarrasser au plus vite pour redevenir heureux !

Un biais cognitif ?

Ainsi, nous distribuons et collons des étiquettes à tout va ! Suis-je Asperger ? Untel est-il pervers narcissique ? Le fait d’attribuer des étiquettes est confortable pour notre cerveau car il aime faire des catégories: cela libère de l’énergie et de la place pour réfléchir à autre chose. Nous pouvons donc regarder cette « pathologisation » comme un biais cognitif ! Mais pas seulement !

Une quête de sens

Le fait de coller une étiquette peut également soulager et rassurer. Un beau jour, nous nous apercevons que nous sommes un peu en décalage avec notre entourage et nous en souffrons. Il est donc naturel de chercher la cause de cette souffrance ! Le fait de trouver l’origine de cette souffrance permet donc de mettre un mot, de mettre du sens, une raison et de travailler dessus.

Après beaucoup de recherches et de rencontres avec des professionnels de la santé, j’apprends que je suis dépressif. Il y a un mot sur ma souffrance, cela me permet de comprendre ce qu’il m’arrive et de déculpabiliser (‘ce n’est pas de ma faute, c’est la maladie’). Je peux communiquer sur la maladie autour de moi, en informer mes proches pour qu’ils comprennent mes attitudes et mes comportements parfois ambivalents et je vais pouvoir m’entourer de personnes qualifiées pour m’aider à traverser cette période difficile !

Qui n’est pas déjà allé chez le médecin avec une forte douleur au ventre et est ressorti désarçonné quand le médecin ne nous trouve rien ? Nous sommes en partie satisfait de ne « rien » avoir et en partie déçu car un diagnostic, une cause, une raison nous aurait soulagé et permis d’agir afin d’avoir moins mal à l’avenir. Là, nous restons dans le doute, ce qui est très désagréable… L’être humain n’aime pas ce qui lui échappe ! Il a besoin de mettre du sens partout pour se rassurer !

C’est pas moi, c’est l’autre

Autre bénéfice dans cette recherche de pathologie à tout prix est la déresponsabilisation. Il est, il faut bien l’avouer, tellement plus pratique d’accuser autrui de tous nos problèmes plutôt que de se remettre en question ! Cela nous permet de se placer en « victime » (= « je subi la maladie de l’autre ») et de générer de la compassion.

Vous avez tous entendu un jeune dire de sa mère qu’elle était bipolaire: tout allait bien dans le meilleur des mondes et d’un coup, Madame lui hurle dessus sans crier gare. Point de vue du jeune: « ma mère est bipolaire ». Point de vue de la maman: « je lui ai demandé de ranger sa chambre à 3 reprises, je dû me fâcher… ».

On remarque aussi que le fait de parler de la « pathologie » de l’autre permet de fuir ce qu’on ressent. En mettant l’autre en avant et ses problèmes, on évite ainsi de parler de soi…

Se protéger

« INFO: Un schizophrène de 21 ans poignarde sa grand-mère ». A l’image de ce gros titre, bon nombre de fait-divers relayés par les médias sont rattachés à des pathologies psychiatriques lourdes, comme la schizophrénie par exemple. Nous cherchons à savoir ce qui a bien poussé un jeune homme à passer à l’acte, nous cherchons des réponses afin de comprendre l’incompréhensible. Les médias abordent donc dans leurs articles les maladies mentales avec beaucoup de difficultés.
En effet, définir une pathologie est complexe et la vulgariser pour le grand public l’est encore plus. Décrire simplement une pathologie est très difficile même pour les professionnels. Faire une liste des symptômes associés aussi car la manifestation d’un trouble et sa symptomatologie est variable d’un individu à un autre, ce qui entraîne beaucoup de flou, de généralisation, de confusion…et donc de peur.

C’est pourquoi une personne qui se démarque par sa trop grande différence sera jugée effrayante, bizarre ou étrange. Face à la peur que cette différence engendre, nous utilisons la vulgarisation pour nous rassurer et mettre à distance l’incompréhensible (« il est probablement schizophrène ») puis l’insulte pour nous défendre (« espèce de malade! »). Ainsi, certaines pathologies se transforment en insultes… Mais pas toutes !

Certaines pathologies seraient en effet « glamourisées » ! Ainsi les troubles bipolaires souvent rattachés aux artistes sont moins connotés négativement tout comme les troubles du spectre autiste du type Asperger souvent rattachés aux génies qu’on voit à la télévision !

Quelles sont les conséquences de cet effet de pathologisation ?

Au final, nous nous rendons compte que derrière chaque trouble psychiatrique se cache de nombreuses représentations de la maladie ainsi que des symptômes associés, de la peur, des jugements mais aussi des fantasmes. Nous questionnons dans nos comportements quotidiens sans cesse le normal et le pathologique.

L’instrumentalisation du psy

De ce fait et en tant que psychologue, je me sens parfois instrumentalisée durant mes consultations. Certains patients attendent uniquement de moi que je valide les diagnostics qu’ils établissent (que se soit pour eux ou concernant leurs proches) inversant ainsi les rôles et place de chacun. Le patient devenant le professionnel ! Et si le psychologue infirme le diagnostic proposé, ce dernier risque d’être qualifié d’incompétent car il ne répond pas au désir du patient et il claquera la porte !

Encore une fois, qui n’a pas déjà entendu « ma psy a dit que tu étais borderline » alors que le professionnel en question n’a jamais rencontré cette personne et donc a été dans l’incapacité d’établir un diagnostic !

Une sensibilisation aux pathologies mentales

Cependant, nous pouvons aussi constater des effets positifs dans cette recherche de diagnostic. Cette pathologisation est le résultat d’une amélioration des connaissances générales en matière de maladies mentales notamment grâce aux médias (documentaires, cinéma, journaux, radio, télévision,etc…) et lève quelques tabous au passage. Davantage sensibilisés aux problèmes psychiatriques, nous hésitons moins à consulter précocement et regardons les malades avec plus de bienveillance.

Attention aux dérives…

En revanche, de ces points positifs découlent des effets négatifs. En effet, sensibiliser aux troubles psychiques permet d’intervenir précocement et donc de consulter avant que les troubles sévères s’installent. Cependant, cela entraîne parfois des dérives et des abus. Par moment, nous avons tendance à voir de la pathologie là où s’agit simplement d’une anomalie de comportement. Par exemple lorsqu’un homme de mauvaise foi tente de retourner la situation à son avantage, on parle immédiatement de pervers narcissique ou lorsqu’un deuil est jugé « trop long », la personne concernée sera cataloguée de dépressive et devra pendre un traitement antidépresseur. Alors à trop vouloir rentrer les gens dans des catégories, à vouloir pathologiser tous nos comportements et nos émotions, on sur-médicalise et sur-diagnostique. Un simple comportement inadapté ou inapproprié sera psychiatrisé, au risque de le renforcer. Et se décoller d’une étiquette psychiatrique, même fausse, n’est pas facile…

De plus, poser soi-même un diagnostic sur la base d’un seul comportement déviant fait perdre tout le sens de la pathologie ! Lorsqu’on interroge par exemple plusieurs personnes sur les caractéristiques d’un pervers narcissique, on récolte pleins de représentations différentes ! Donc au final, tout le monde peut être un jour le pervers narcissique d’un autre ! Parler de pervers narcissiques aujourd’hui (hors utilisation des professionnels) ne veut plus rien dire tant on en a perdu le sens. Et ce constat vaut pour toutes les autres pathologies « tombées » dans le langage courant…

En tout cela, poser des diagnostics sauvages à tort et à travers, sans réelles connaissances peut porter préjudice.

Que pensez-vous de cette recherche de diagnostic ? Comment comprenez-vous cette distribution d’étiquette ? 

NB: Dans cet article, vous l’aurez compris, je ne dis pas que toutes ces pathologies n’existent pas. Bien au contraire ! Elles sont sérieuses et méritent d’être dépistées par des professionnels. Je souligne simplement le fait qu’avec notre soif de savoir, de compréhension de soi et des autres, nous nous nourrissons de psychologie vulgarisée qui laisse à penser que nous sommes outillés pour établir soi-même des « diagnostics sauvages ». Hors bien souvent, nous avons une représentation de la pathologie qui est incomplète et utilisons des termes psychiatriques à tort. Ce qui perd un peu de son sens…


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