Le 14 avril dernier à 22h, j’étais confortablement installée sur mon canapé en pilou-pilou en scrollant FACEBOOK, quand j’ai frôlé la crise cardiaque. J’apprends que la tempête Manu a encore frappé ! Mon petit coeur, déjà bien affaibli après l’ouragan « chèque psy étudiant », n’était clairement pas prêt à encaisser cette nouvelle bombe. Manu a donc décidé de récidiver et de créer un nouveau dispositif tout neuf: le forfait psy pour les enfants.
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Vous vous en doutez, rédiger cet article m’enchante autant que la perspective d’un couvre-feu à 17h. Alors on va faire bref ! En première partie, je vous explique les modalités de ce nouveau dispositif et en seconde partie, je vous détaille le pourquoi-du-comment, ce forfait psy est bancal. On est parti ?
LE FORFAIT PSY ENFANTS/ADO
40% des parents avaient déclaré avoir observé des signes de détresse psychologique chez leur enfant lors du premier confinement en raison notamment de l’absence de relations sociales suite à la fermeture des établissements scolaires
Afin de pallier à la dégradation de la santé mentale des Français et notamment de la jeunesse, le président de la République a annoncé récemment la création d’une aide psychologique d’urgence. Ce nouveau dispositif a donc pour objectif de soulager la détresse psychique des enfants et des adolescents affectés par la crise sanitaire.
Les modalités du forfait psy:
- Ce dispositif permet une prise en charge à 100% de 10 séances de 30min chez un psychologue en ville. Il n’y a aucune d’avance de frais.
- Il est à destination des jeunes de 3 à 17 ans qui présentent des troubles psychiques légers à modérés liés au contexte crise actuelle.
- Ce forfait est temporaire. Ainsi, les ordonnances doivent être réalisées avant le 31 octobre 2021 et les séances doivent s’achever avant le 31 janvier 2022.
Le parcours de soin:
- À partir de fin mai, tout enfant / adolescent présentant des signes de mal-être peut se présenter auprès d’un médecin (généraliste, hopitalier, pédiatre, médecin scolaire, etc.) et obtenir une ordonnance pour un suivi psychologique. Cette prescription médicale est obligatoire pour entrer dans le dispositif.
- Une fois l’ordonnance obtenue, il sera possible de contacter un psychologue partenaire identifiable sur le site de PsyEnfantAdo.sante.gouv.fr et de commencer la prise en charge.
LES LIMITES DU FORFAIT PSY
Si dans un premier temps, on a envie de féliciter Manu pour cette initiative et la considération qu’il porte à la santé mentale, j’ai dans un second temps envie de l’étriper.
Le forfait psy, c’est de la poudre de perlimpinpin !
Je vais donc essayer de reprendre point par point les lacunes de ce nouveau dispositif pas si révolutionnaire que ça.
Un accès au soin psychique compliqué:
Actuellement, l’accès aux psychologues est libre. Cela veut dire qu’un patient peut directement prendre RDV auprès d’un thérapeute sans passer par l’intermédiaire d’un médecin. Imposer la prescription médicale revient à complexifier le parcours de soin, multiplier les interlocuteurs et à malmener une personne déjà bien en souffrance. Ainsi, si je veux demain consulter un psy, je devrais déjà solliciter mon médecin généraliste et me confier à lui sur mes difficultés. Et je ne sais pas vous, mais je serais très mal à l’aise de me mettre « à poil » devant quelqu’un qui connaît ma famille !
Une fois l’exercice du confessionnal passé, c’est au médecin d’évaluer la sévérité des troubles du patient et de juger s’il peut bénéficier ou non d’une prise en charge psychologique remboursée. En effet, pour y accéder, le patient doit rentrer dans une classe d’âge précise et présenter des symptômes spécifiques. Il s’agit là bien évidemment d’un dispositif trop restrictif qui va mettre de côté bon nombre de jeunes en souffrance… De plus, le médecin généraliste n’est pas toujours formé pour évaluer les troubles psychiques ! Il peut donc se tromper de diagnostic ou passer à côté d’éléments importants. Je ne suis pas médecin, il n’est pas psychologue, chacun son domaine de compétence.
Des psys contre ce dispositif:
Maintenant que le patient à sa prescription médicale, il peut contacter un psy de la liste des psychologues partenaires. Personnellement, compte tenu des conditions de tous ces nouveaux dispositifs, je doute que beaucoup de psychologues y adhèrent. Le patient va donc se retrouver avec son ordonnance durement gagnée et aucun psychologue disponible pour le recevoir.
Du soin psychique bâclé:
Mais si contre toute attente, le patient parvient à trouver un psycho partenaire, ça roule ? Et beh, non. Selon ce dispositif, le patient n’a droit qu’à 3 à 10 séances d’une durée de 30 minutes, ce qui est bien trop peu. Je ne conçois pas de recevoir des patients en 30 minutes. Même avec les meilleurs outils psychothérapeutiques du monde, c’est impossible ! Installer une relation de confiance prend du temps, comprendre l’histoire des difficultés aussi, proposer une prise en charge se construit sur la durée. Imposer une durée de 30 min ou un nombre limité de séances est maltraitant. C’est une injonction à aller mieux tout de suite, et le soin psychique ne fonctionne pas de la sorte. Vous imaginez la pression ?
« Gabriel, c’est la 9ème séance, si à la prochaine, tu ne vas pas mieux, tu es foutu. On ne peut plus t’aider ».
L’horreur…!
Mais si au bout des 10 séances, patient comme thérapeute se rendent compte qu’il est nécessaire de poursuivre la prise en charge, il faudra repasser par le médecin généraliste qui orientera cette fois vers un psychiatre. Le psychiatre quant à lui peut à nouveau orienter vers un psychologue, etc. Vous voyez le bordel ? Et encore, je ne vous parle pas des médecins généralistes difficiles d’accès, des psychiatres en voie de disparition ou encore des psys surbookés qui ne prennent plus de nouveaux patients avant plusieurs mois.
Un dispositif inadapté:
Et pour finir mon laïus, je crois avoir compris que dispositif est temporaire. Je pense qu’il est tout à fait illusoire de penser que la détresse psychique des Français prendra fin à la mort du COVID-19. Nous savons aujourd’hui que les conséquences de cette crise sanitaire auront un impact important sur la santé mentale des Français sur le long terme. Un dispositif d’urgence temporaire n’est donc pas suffisant pour soutenir la population.
Donc Manu, voici ta note: 8/20, tu peux mieux faire.
CONCLUSION
Pour conclure, je dirais que je suis favorable au remboursement des consultations psychologiques, mais sous certaines conditions !
Je refuse que le gouvernement impose une ubérisation du soin psychique. Je refuse de maltraiter un patient en l’accueillant que 30min, je refuse de les enchaîner pour pouvoir obtenir un salaire décent, je refuse d’être payée au rabais. Je suis contre cette injonction à « aller mieux » en 3 ou 10 séances sous peine d’être un mauvais patient ou un mauvais psy. Je refuse d’être instrumentalisée par le gouvernement qui veut sous-traiter le soin psychique dans le privé parce qu’il n’a pas envie d’injecter de l’argent supplémentaire dans les structures publiques !
C’est donc pour toutes ces raisons que je soutiendrai mes collègues, ma profession, mes patients et que je ne participerai pas au forfait psy.
#GREVE #MANIFESTATION #10JUIN #BOYCOTT #PSYENCOLERE
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Ton blog est une superbe découverte !
Oh, merci ! 😀
Je trouve ça dommage que le système ne soit pas mieux pensé, parce que ça serait en plus une super occasion de vraiment parler des dérèglements psychologiques et de battre en brèche l’idée que quand on va voir un psy, on est fou.
Comme d’habitude, je suis complétement d’accord !
On marche sur la tête ! On exclu des patients du soin, on décourage les psys à se mobiliser…bref, c’est n’importe quoi.
comme toujours, pertinent et perspicace. Je n’aurais pas pu le dire mieux.
Moi aussi, le 10 juin je montrerais mon désaccord.
Merci ! Cette solidarité entre psys fait du bien !
J’espère que nous serons nombreux à manifester jeudi !