À l’heure où la majorité des Français rencontrent des difficultés psychologiques et financières, la question du remboursement des psychothérapies se pose. Face à la demande grandissante de la population et de plus en plus sensibilisé à la santé mentale, le gouvernement a récemment mis en place un dispositif de remboursement des consultations psychologiques.

MonParcoursPsy a donc pour vocation de soulager la souffrance psychologique de toute personne dans le besoin en offrant une prise en charge rapide et gratuite chez un psychologue libéral. Et quand on sait qu’un des freins à la psychothérapie est le budget, l’idée est séduisante.

Et pourtant, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la majorité des psychologues refuse de participer à ce programme. Pourquoi s’opposent ils ? Quelles solutions peuvent être envisagées ? Retour sur ce dispositif divise profondément et qui peut rendre zinzin !

LES POINTS FORTS DE MONPARCOURSPSY

1, Les origines de la création du dispositif MonParcoursPsy

Lancé en avril 2022, MonParcoursPsy (autrefois appelé MonPsySanté) n’est que le dernier né d’une longue liste de dispositifs de remboursement des consultations psy expérimentaux. En effet, depuis 2017, nous avons vu fleurir de nombreux dispositifs similaires portant d’autres noms : CODA3, chèque psy, pass santé jeune, forfait psy enfant-ado, etc. Toutes ces expérimentations avaient la même promesse : faciliter l’accès au soin psychique.

L’accès aux psychothérapies n’est donc pas une préoccupation nouvelle pour le gouvernement qui se penche sur la question depuis plusieurs années. En effet, il a été démontré qu’un accompagnement psychologique précoce permettrait la réduction de consommation de médicaments et réduirait l’installation de troubles psychiatriques sévères. Et quand on sait que la France est plutôt gourmande en antidépresseurs et anxiolytiques, la sécu a donc eu envie de réagir.

Mais c’est surtout la crise du COVID-19 en 2020 qui a accéléré les choses. Délaissant les anciens dispositifs trop timides, le gouvernement lance cette fois un projet d’envergure. MonParcoursPsy est pour la première fois un dispositif national, englobant une tranche d’âge assez importante.

2, Description du dispositif MonParcoursPsy :

MonParcoursPsy promet donc d’accompagner toute personne (à partir de 3 ans) en souffrance psychologique en lui proposant 8 séances par an chez un psychologue libéral. Les séances seront remboursées à 60% par l’assurance maladie et 40% par la mutuelle / la complémentaire santé ou aucune avance de frais selon les cas.

Comment ça fonctionne ?

  • 1, solliciter un médecin (généraliste, gynécologue, scolaire, PMI, sage femme, etc.). Échanger avec lui lors du RDV pour savoir si ce dispositif est adapté à votre situation ou non et obtenez une prescription qui vous ouvre vos droits à la psychothérapie.
  • 2, à l’aide de l’annuaire spécifique au dispositif, rencontrer un psychologue partenaire pour maximum 8 séances par an. À noter que la première séance doit impérativement se faire en présentiel, les suivantes peuvent s’effectuer en distanciel.
  • 3, demander un remboursement ou n’avancez aucun frais, selon votre situation. À savoir que la première séance coûte 40 euros et les 7 séances de suivi, 30 euros.

Il est aussi à préciser que ce programme ne concerne pas les « urgences » et/ou les personnes présentant un risque suicidaire. Et qu’il est obligatoire pour les bénéficiaires mineurs d’avoir l’autorisation parentale des deux parents.

LES FAIBLESSES DE MONPARCOURSPSY

Expérimentés depuis déjà plusieurs années maintenant, les dispositifs de remboursement visent donc à soulager le mal-être psychologique massif des Français, désengorger les structures de soin publiques et ont créé un vrai engouement au sein de la population. Cependant de nombreux professionnels de santé appellent à la prudence et soulignent plusieurs fragilités dans ces programmes de prise en charge.

1, Un parcours de soin trop contraignant

Avec MonParcoursPsy, il est obligatoire de prendre RDV avec un médecin au préalable afin qu’il prescrive une orientation vers un psychologue. Et cette étape questionne une majorité des professionnels de santé.

En effet, la France souffre aujourd’hui de nombreux désert médicaux, certaines régions manquent cruellement de médecins ce qui rallonge les délais de prise en charge et amplifie les difficultés, le mal-être. Les psychologues, depuis toujours en libre accès, critiquent donc fortement cette étape intermédiaire.

De plus, par honte, peur de représailles (ou autre), il peut s’avérer difficile de se confier sur ses difficultés personnelles au médecin du village qui reçoit toute la famille au cabinet. Cette étape peut donc paradoxalement freiner l’accès aux psychothérapies.

2, Des critères d’exclusion trop rigides

Lors de cette première consultation médicale, le médecin se charge d’évaluer la détresse psychique et décide s’il est avisé ou non d’orienter auprès d’un psychologue.

En effet, le médecin peut refuser cet adressage si la situation rencontrée ne correspond pas aux nombreux critères du dispositif qu’il faut respecter. Il est à préciser que ce programme a été mis en place dans une démarche de prévention plus que de soin et que certains symptômes de mal-être ne permettront pas d’en bénéficier : idées suicidaires, dépression sévère, anxiété sévère, addiction sévère, trouble du comportement alimentaire sévère, scarification, traumatisme sévère, agression, prise d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques, trouble des apprentissages, harcèlement, trouble de la personnalité (borderline et autre), trouble bipolaire, etc.

Tous ces symptômes (et la liste n’est pas exhaustive) jugés trop importants pour le gouvernement exclura le patient de ce parcours de soin psychique remboursé. Le médecin devra alors orienter son patient auprès d’un médecin psychiatre ou une structure publique spécialisée et là encore les déserts médicaux (ainsi que les délais d’attente) complexiront fortement la tâche et retarderont la prise en charge voire la rendront impossible.

Ainsi donc, la majorité des psychologues s’inquiète du devenir de ces personnes en souffrance, laissées à l’abandon. Ces professionnels sont en plus vexés d’être encore une fois sous-considérés par le gouvernement qui ne reconnaît pas la richesse de leur formation universitaire et qui les cantonne à des prises en charge de troubles légers alors que leur champ de compétences est beaucoup plus vaste.

3, Une promesse de soin irréaliste

Ainsi donc, MonParcoursPsy se vante de faciliter l’accès au soin psychique pour tous en proposant 8 séances par an chez un psychologue. Outre le fait que l’accès n’est pas si simple que cela (accès au médecin compliqué, orientation non automatique auprès d’un psy), d’autres problèmes ont été soulevés.

Il est à souligner que la force de ce dispositif est de désengorger les structures publiques gratuites (CMP notamment) où le temps d’attente avant d’obtenir un RDV peut avoisiner les deux ans et de permettre à tous d’avoir accès à une psychothérapie rapidement, à moindre frais. Pour cela, le gouvernement propose une orientation auprès des psychologues libéraux, moins surchargés selon eux, en offrant une prise en charge remboursée. Malheureusement, cette stratégie ne serait pas toujours efficace puisque même les psychologues libéraux auraient des délais d’attente importants depuis la crise du COVID-19. Ainsi, que ce soit en public ou en privé, la personne en demande de soin psychique pourra attendre un certain temps avant un premier RDV.

De plus, il est aussi important de rappeler que beaucoup de psychologues refusent d’être partenaires du dispositif car les modalités de prise en charge vont à l’encontre de leur éthique et de leur déontologie professionnelles. Beaucoup jugent insuffisant le nombre de séances remboursées et déplorent un tarif inadapté en plus d’une para-médicalisation de leur profession. En effet, un psychologue est normalement en accès libre, sans orientation médicale, libre de ses outils thérapeutiques et d’accueillir toutes les problématiques en lien avec son champ de compétence.

Compte tenu de ses charges, de la précarité de son statut ainsi que de ses formations, le tarif chez un psychologue est d’environ 60 euros pour une heure. Aussi, de manière générale, la durée d’une psychothérapie est en moyenne d’un an. En réduisant le coût d’une séance, le professionnel s’offre le droit de réduire la durée de la consultation. Il est donc cliniquement impossible de traiter une anxiété même modérée en 8 séances de 30 min, soit 4h de psychothérapie. La promesse de ce dispositif est donc cruelle pour les professionnels qui doivent bâcler leur travail voire ubériser le soin pour survivre et les patients qui reçoivent une turbothérapie inachevée.

Ainsi donc, même en rendant la prise en charge psychologique gratuite en libéral, la personne bénéficiaire de MonParcoursPsy pourrait avoir certaines difficultés à trouver un psychologue conventionné ou à recevoir une thérapie de qualité.

UN BOYCOTT MASSIF DES PSYS

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, la majorité de la profession boycotte ce dispositif et le juge maltraitant pour eux comme pour leurs patients. Par cette action d’opposition, ils espèrent faire bouger les choses et permettre (vraiment) à toute personne en souffrance de bénéficier d’une prise en charge psychologique adaptée et réaliste. La grande majorité des psychologues est donc amplement favorable au remboursement des séances de psychothérapie mais reste dubitative concernant les conditions du dispositif.

MonParcoursPsy en quelques chiffres pour 2022 (source, manifeste psy):

  • Sur 30 461 psychologues libéraux, seulement 2 200 ont accepté de se conventionner, soit 7,2%. En clair, environ 93% des psychologues boude le dispositif. Il est à spécifier que ce chiffre ne prend pas en compte les professionnels qui se sont déconventionnés dans l’année. Il est donc fortement probable qu’il y ait encore moins de psychologues conventionnés à ce jour.
  • Ce sont 90 642 patients bénéficiaires, soit 0,13% de la population française. Et on sait que le pourcentage de personnes en détresse psychique est beaucoup plus important que ce nombre, ce qui prouve bien que les critères d’exclusion sont trop restrictifs.
  • C’est 372 547 séances effectuées, soit 4 séances par personne bénéficiaire sur 8 possibles, environ 2h de consultation. Nous pouvons donc imaginer que la prise en charge n’était pas satisfaisante ou que le psychologue a jugé que le patient ne correspondait pas aux critères d’inclusion du dispositif.

SOLUTIONS POSSIBLES

Partagés entre l’envie de bien faire leur métier et d’accompagner des personnes dans le besoin, la position des psychologues est délicate. Le gouvernement a fait d’eux le bouc émissaire de leur dispositif en véhiculant une image de la profession motivée par l’argent et le profit au détriment de la santé des français. Tout en laissant planer ce fantasme que 8 séances chez un psy seraient magiques et solutionneraient tout. La population française a donc bien des difficultés à comprendre ce boycott.

Ainsi tiraillés entre mettre la clé sous la porte du fait d’un tarif trop bas pour vivre de leur activité, refuser des patients bénéficiaires du dispositif quitte à favoriser la libéralisation du soin psychique, brader leur travail par empathie ou réduire l’efficacité de leur prestation en diminuant la durée des séances, les psys ont bien du mal à composer avec la proposition du gouvernement. Leurs valeurs, leur éthique et leur déontologie professionnelles sont mises à rude épreuve.

Les revendications et les solutions apportées par les psychologues :

  • Renforcer les structures publiques déjà existantes: leur donner plus de moyens (matériels, financiers, humains), embaucher davantage de psychologues (et non des éducateurs/infirmiers pour les substituer par économie financière). Rendre le travail institutionnel plus attractif en améliorant les conditions de travail (temps de formation, bureau, matériel, grilles de salaire à actualiser, etc).
  • Améliorer le dispositif: reconsidérer le tarif imposé (l’augmenter ou proposer un dépassement d’honoraire), adapter le nombre de séances pour les bénéficiaires, assouplir les critères d’exclusion. De manière générale, favoriser l’accès libre au psychologue, le laisser libre de sa pratique thérapeutique, élargir son champ de compétence.
  • Plus globalement: Valoriser les médecins psychiatres et la psychiatrie en générale (la branche pauvre de la médecine), soutenir les services publics au lieu de favoriser la libéralisation du soin psychique (fermeture des lits, manque de moyens dans les hôpitaux, sous-effectif,…), demander aux mutuelles de s’engager davantage sur la question de la santé mentale.

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CONCLUSION

MonParcoursPsy est donc un dispositif de remboursement qui divise fortement. Professionnels de santé et patients crient au scandale quand le gouvernement continue de faire la sourde oreille malgré les manifestations publiques, sollicitations politiques et présence dans les médias pour faire évoluer les choses.

De par sa volonté de soulager la détresse psychique des Français, de rendre financièrement accessibles les psychothérapies, de mettre en lumière l’importance de la santé mentale sans tabou, ce dispositif est prometteur. Cependant, il reste encore énormément d’axes à améliorer.

À titre personnel, j’ai récemment quitté mon poste de psychologue hospitalière après 5 ans d’exercice, tant les conditions de travail étaient exécrables. Et je refuse de participer à ce dispositif bancal qui ment aux patients, sabote mon travail et qui précarise encore plus ma situation tout en faisant croire à la population que c’est la solution à tout.

C’est avec beaucoup de culot que le gouvernement demande aux psychologues libéraux de compenser les failles d’un système de santé abandonné (par leur faute). Et c’est avec une certaine perversion qu’il utilise la santé des Français dans une volonté de business (ou de réduction des coûts) tout en faisant croire qu’il apporte des «solutions magiques».

MonParcoursPsy serait donc une solution qui n’en est pas une, une douce illusion qui diviserait encore plus la population. Les patients qui auront les moyens d’avoir accès au soin et ceux qui ne le pourront toujours pas. Les psychologues qui accepteront de participer au dispositif et ceux qui refuseront.

NOTE DE FIN:

Cet article a été rédigé dans le but de mettre en lumière les raisons globales du boycott de ce dispositif par les psychologues en m’appuyant sur les arguments du Manifeste Psy. N’ayant pas pu développer tous les « points faibles » du dispositif tel qu’il est aujourd’hui ni toutes les revendications, je laisse les psychologues compléter l’article en commentaire !

Souhaitant apporter plus de nuance et d’objectivité, le prochain article donnera cette fois-ci la parole à ceux qui l’ont vécu (psychologues conventionnés, patients et médecins) à travers des témoignages afin d’entendre leur retour d’expérience sur le sujet et d’enrichir le débat.


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